Histoire de la bannière de la Caisse de Secours des Ouvriers des Hauts Fourneaux de Conches

18/11/2020

Depuis longtemps, au Vieux Conches résonnait les enclumes et marteaux. Les romains exploitaient déjà le fer dans les forêts du Pays de Conches et le transformaient en outils, armes, armures, clous...
En 1806, Antoine Roy et Martin Duval créaient « La Société des Forges de l'Eure » qui prit en deux décennies le contrôle de la plupart des anciennes forges du département. En 1840 il y avait plus de 700 ouvriers à la société des Forges de l'Eure. Avec des techniques, une organisation et un type de propriété, qui pouvaient être qualifiés d'archaïques, mais l'entreprise restera prospère jusqu'en 1860.
Toutefois, en 1860, une grave crise conduisit une profonde réorganisation. Partout, en effet, la sidérurgie traditionnelle au bois s'effondrait devant la poussée inéluctable d'une nouvelle génération de Hauts Fourneaux au coke et d'aciéries révolutionnaires. D'un seul coup, fut tranché le lien qui unissait depuis des siècles l'exploitation forestière de la forêt de Conches et la production du fer.
La Société des Forges de l'Eure subissait la crise, mais elle réussit, non sans traumatismes, à franchir ce cap difficile. En 1878, il ne restait plus que 320 ouvriers dans les seules usines de Conches et de Breteuil encore en activités. Le mérite en revint sans doute à Henri Letaud directeur général des usines, qui, dès son arrivée aux forges du Vieux Conches en 1864, proposait un véritable plan de restructuration visant à l'abandon rapide de toute métallurgie primaire pour consacrer l'entreprise à la fabrication de fontes de deuxième fusion. Les hauts fourneaux de Conches reprenaient les laitiers romains très abondants dans la région et très riches encore en fer car la fusion faite par les romains était très imparfaite. Ces mêmes Hauts Fourneaux travaillaient des fontes en provenance de Moselle et le coke de Belgique. Avec le progrès du machinisme, les Forges et Hauts Fournaux du Vieux Conches connaissaient une ère de prospérité. Ils produisaient d'artistiques plaques de cheminées, des articles de cuisine en fonte tels que des marmites et la flèche centrale de la Cathédrale de Rouen sortit de leurs ateliers.
A une époque où les accidents et les maladies privaient les ouvriers de revenus, les sociétés de secours sont apparues au XVIIIe siècle. Les sociétés de secours mutuel étaient des organisations qui pratiquaient l'entraide entre les adhérents pour réduire l'impact de problèmes comme la maladie, l'infirmité, les accidents. Elles fleurissaient, mais restèrent limitées dans leur action. La loi du 15 juillet 1850 stipulait que : « ... la personne civile ne sera accordée que sous certaines conditions strictes, en particulier, elle ne doit pas accorder ni secours de chômage, ni pension de retraite... ». L'État surveille les sociétés de secours mutuel, car les fonds pouvaient à l'occasion servir à soutenir une grève. Aussi, le maire ou le commissaire de police pouvait assister aux réunions.
Cette décision, motivée par une double préoccupation de contrôle social et de lutte contre la maladie, devenue un problème politique majeur, donne à la France sa première législation sociale du XIXe siècle. Le pouvoir impérial (Second Empire) confiait, de fait, aux Société de Secours Mutuel une fonction officieuse d'assurance maladie volontaire, en les soumettant à des règlements modèles dont les règles de composition imposaient des associés participants cotisants (tous les ouvriers, hommes, femmes et mineurs(enfants) pouvaient cotiser), des membres honoraires qui payaient soit des cotisations, soit qui faisaient des dons à la société.
Ceux-ci étaient, pour l'essentiel, des notables fortunés et bien-pensants. Le président de chaque société était nommé par le Président de la République. Elles avaient pour but d'assurer les secours temporaires aux sociétaires malades, blessés ou infirmes. Le maire et le curé, dans chaque commune, jouaient les protecteurs nés des sociétés de secours mutuel et que toutes dépendaient du Ministère de l'Intérieur, il importait de ne pas émettre d'opinion contraire à l'Empire et à l'Église.
Le travail aux Hauts Fourneaux était dur et les ouvriers commençaient à travailler vers 12 ans. Certains y travaillaient pendant 70 ans. En 1888 il restait 150 personnes travaillant à l'usine du Vieux Conches dont : 13 personnels de direction, 112 ouvriers hommes, 17 ouvriers femmes et 8 enfants de 12 à 16 ans.
Le 27 octobre 1869, la Caisse de Secours des Ouvriers des Hauts Fourneaux de Conches fut fondée par Mr LETAUD directeur de l'usine. Elle fut placée sous le patronage de Saint Eloi, qui par son habileté comme orfèvre, le fit très tôt choisir comme saint patron par les orfèvres eux-mêmes, les métiers du fer et les maréchaux-ferrants, et, par extension, des forgerons et métallurgistes. Il est souvent représenté avec une enclume et un marteau.
Lors des cérémonies, les bannières en velours rouges frangées d'or des usines du vieux Conches et de la Société de Secours des Ouvriers des Hauts Fourneaux y étaient disposées. La caisse de secours était administrée par cinq délégués élus par les ouvriers qui siégeaient tous les mois en présence du comptable et du directeur de l'usine qui en assurait la présidence.
En 1888 son administration était composée ainsi (le 5ème délégué n'a pas été nommé dans l'Enquête Industrielle) :
Mr LEMOULE Etienne-Désiré, mouleur, habitant à Ste Marthe élu depuis 4 ans ;
Mr HUCHET Pierre, mouleur, habitant Sébécourt, élu depuis octobre 1882 ;
Mr PILON Alexandre, contremaître, habitant au Vieux Conches, élu dès sa fondation en1869 ;
Mr BUQUET Alexandre, chef noyauteur, habitant Ste Marthe élu dès sa fondation en 1869.
Ils répartissaient les allocations pécuniaires à faire aux malades et la vérification des notes des médecins et des pharmaciens. La Caisse de Secours des Ouvriers des Hauts Fourneaux du Vieux Conches pourvoyait au paiement des salaires des ouvriers malades ou blessés. En 1888, sa situation était bonne et en dix ans d'existence, elle avait une réserve financière de 2000 frs déposée à la caisse de l'usine qui lui payait des intérêts (Un franc de 1850 était égal à 3,27 euros d'aujourd'hui).
Les revenus de la Caisse de Secours étaient fournis par une retenue de 2% sur le salaire des ouvriers, par le produit des amendes (fautes et punitions des ouvriers), par des subventions accordées par l'administration des usines et par des dons de généreuses personnes qui devenaient membres honoraires de la Société de Secours. Parmi les membres honoraires, la Société comptait le conseiller général Monsieur le Duc de Clermont Tonnerre.
Une chapelle avait été construite près de la cour qui précédait le hall en 1883 par Mme la marquise d'Albon. Elle avait été placée sous le vocable de ST ELOI et de ST OUEN. Une chapelle Saint Ouen existait déjà au Vieux Conches à l'ouest des étangs mais elle avait été détruite à la Révolution.
Le 1er décembre, c'est donc la fête de saint Eloi, patron des métallurgistes, de ceux qui travaillent le fer et l'acier. Fidèles aux anciennes traditions des corporations médiévales, les forgerons s'arrêtaient de travailler une fois l'an pour célébrer leur saint-patron avec défilé, messe et banquet. Une occasion de faire la fête pour ces ouvriers au dur labeur le reste de l'année.
Notre Musée du Pays de CONCHES, possède une bannière de la CAISSE DE SECOURS DES OUVRIERS DES HAUTS FOURNEAUX DE CONCHES DE 1869 à l'effigie de Saint Eloi au verso. Saint ELOI est le patron de la métallurgie.

Pour être présentée au Musée du Pays de Conches, elle a été restaurée en 2020 avec le financement de l'Association des Amis des Musées de Conches.

Extrait de l'Enquête Industrielle aux Usines du Vieux Conches du 15 septembre 1888 réalisée par l'Association Normande.